Chapitre 10

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Kokabiel finit de limer ses ongles stiletto, mit un chewing-gum dans sa bouche et se pencha sur sa boule de cristal. Son halo orange scintilla alors qu’el s’y reconnectait. Le Grand Plan des Cieux se révéla à el.

— Oh purée...

Kokabiel vit les sphères des dix royaumes des Cieux pulser, chacune d’une couleur différente. El vit le Plan des Cieux tout entier, comme toujours divisé par l’Abysse immonde, séparant les royaumes supérieurs et inférieurs. L’esprit de Kokabiel fut pressé comme un agrume, écrasé par la taille du Plan. Le souffle coupé, la vertu plongea vers Hod, niché tout entier dans une sphère orange, une séphira, qui contenait en son sein le royaume.

Dans cet espace ciblé, l’exploration devint possible, la quantité d’informations presque gérable. Les cieux mauves d’Ha Yetzirah, familiers, l’enveloppèrent. El porta alors son attention sur le Pilier du Jugement, colossal. Sa surface de cristal sombre tournait lentement sur elle-même, activant les mécanismes insondables qui soutenaient la Création toute entière. Ses grincements rauques inondaient l’espace et le temps.

Ce que Kokabiel voyait, ces images et ces sons en temps réel, étaient retransmises dans le réseau EL par les flottes d’innombrables ophanim, qui suivaient la position des millions de vaisseaux qui longeaient le pilier entre Hod et Guebourah, sur la route dite “du Pendu”. Kokabiel soupira. El zooma sur les portails qui séparaient la dimension d’Hod de la route céleste. Chaque vaisseau qui passait sa frontière trans-dimensionnelle était sondé, arrêté, fouillé, créant un chaos total et au final, une longue paralysie. Kokabiel essaya de se concentrer sur ces fouilles et leurs résultats, qui remontaient déjà dans le réseau, bredouilles. Mais ses collègues ne tenaient pas leurs langues.

— Pourquoi on surveille juste la route du Pendu ?

— Parce que Michaël a dit qu’el voulait aller à Guebourah…

— C’était peut-être une feinte ! Faut sonder la route du Diable, de la Tour, du Jugement et du Soleil aussi.

— Avec qui ? Les chorales que tu vas sortir de ton cul ?

— Ouais aller bonne chance.

— On a bien des ophanim non ?! On peut aussi fouiller les autres routes.

— Pourquoi Michaël prendrait une autre route ! El a dit qu'el voulait aider GUE-BOU-RAH ! Guebourah !

— Bah quand el arrivera là-bas els nous le renverrons de toute façon.

— Notre réputation va prendre un sacré coup...

Le prince leva les yeux. Autour de lui, une centaine de vertus d'Ennead étaient penchés sur leurs propres cristaux, suivant els aussi les recherches avec grande curiosité, en débattant sans cesse. Els étaient dans la salle de commandement du H.O.D. Mercuria, installés en arc de cercles autour d’un îlot central, où d’habitude, Raphaël se trouvait. En dessous, un cristal massif trônait. Il vibrait avec une intensité rare, car il donnait aux vertus de la chorale une lumière assez puissante pour permettre l’accès au Grand Plan des Cieux, carte de la Création en temps réel. En y rejetant un œil, Kokabiel soupira. Il était absurde de figer toute une route céleste et d’espérer y trouver quoi que ce soit sans créer une catastrophe logistique et militaire. El n’était pas le seul à le savoir. Autour d’el, des complaintes gonflées d’émotions résonnaient.

— Tout ce bordel pour quoi ? El est déjà passé dans l’espace céleste à l’heure qu’il est, marmonna une vertu de la chorale non loin de Kokabiel.

— El ne peut pas avoir quitté Hod, répliqua une autre. Si el avait essayé nous l’aurions attrapé. El se cache.

— Si el se cache ici alors el peut se cacher dans un vaisseau et nous échapper tout aussi bien ! pesta le collègue.

— Non ! On ne fouille pas assez les districts ! Kokab fait plusieurs milliards d'années lumières de large ! Il faut qu'on se mette au travail maintenant !

— Autant essayer de trouver une aiguille dans une botte de foin…

— El ne pourra pas cacher sa lumière de Fitzarch longtemps. El est un phare ambulant. 

— Eh beh vas-y fouiller alors ! Ça libérera un peu nos puissances qui ont bien mieux à faire que de voler après un mioche…

— SILENCE ! 

Raphaël débarqua, porté par une bourrasque furieuse. El se posa devant sa chorale, sur l'îlot central autour duquel atterrirent aussi plus d’une dizaine de ses collaborateurs. Cinq vertus, trois dominations, trois capitaines de puissances et un chérubin. Kokabiel fit une bulle avec son chewing-gum.

— Aucune trace. On ne le trouve pas, marmonnait Raphaël en tournant sur lui-même.

Kokabiel observa intensément son frère. Son halo orange était strié d’éclairs. Son regard argent brûlait d’émotions. Sa main tremblante, qu’el agitait devant ses cœurs, trahissait son inquiétude. El était possédé par une douleur aiguë et malgré cela, portait son déguisement d'une manière fort convaincante. Il était rare, depuis les évènements de Sicad, que Raphaël parvienne à quitter son lit-œuf plus de quelques heures d'affilée. Son corps détruit par la frappe de Nukvah était devenu un vaisseau bien trop fragile pour accueillir la force de sa lumière archangélique éblouissante. Le prince de Hod souffrait, mentalement, physiquement, presque sans répit. Et ce malgré les interventions des meilleures vertus-médecins du Royaume de Hod.

Cependant, depuis la disparition de Michaël, Raphaël ne s'était pas accordé le moindre répit. Gardant sa condition réelle secrète, el avait engagé les services de deux principautés des services secrets du royaume, expertes en glamour, maitres des thaumaturgies de déguisement. En quelques heures seulement, els avaient construit un sortilège capable de projeter un hologramme autour du corps métallique brulé de l'archange. Une solution précaire, mais jusqu'ici convaincante. Kokabiel déglutit, tapant du pied sur le support de son tabouret. Raphaël grimaçait sans cesse, s'agitait frénétiquement. Ce mal-être était-il la conséquence de sa condition physique ou de la fuite de son protégé ?

— Ce n’est qu’une question de temps, dit la domination Rayël, nouveau chef de cabinet de l’archange suite à la tragique disparition de Constantiel.

— Et de ressources, ajouta un des capitaines de puissances. Il vous faut voir quand rendre vos troupes au combat contre les ténèbres.

— Si vous pensez que je cherche juste à rattraper un gamin fugueur…

— Non votre altesse, non, corrigea immédiatement le capitaine.

— Michaël est une arme de destruction massive, vous entendez ? gronda Raphaël. La flamme... La flamme particulière qu'el possède pourrait causer autant de destruction que la frappe d'un partzuf !

Kokabiel faillit bondir de son siège. Les nobles élohim qui entouraient Raphaël s’échangèrent des regards confus. Une arme de destruction massive ? Michaël était certes un puissant Fitzarch, mais el n’était pas aussi redoutable qu’un partzuf, loin de là.

— Tiens ta langue imbécile ! dit Kokabiel à son grand frère à travers le réseau EL.

— Michaël porte-t-el une arme sur el ? demanda un des capitaines-puissance à Raphaël.

— Non, non, du moins d'habitude el n'en porte pas. Et el n'en portait pas lors de sa fuite initiale. Mais ses pouvoirs sont grands ! balaya l’archange. C’est un éloha de deuxième génération, un “méthusélah” comme vous dites, avec une grande fragilité émotionnelle qui plus est. Au moindre stress el peut causer une catastrophe.

— Nous comprenons votre altesse, fit un autre capitaine en hochant la tête. Mais je me demande, Michaël portait-el des traqueurs ?

— Je vous l'ai déjà répété cent fois ! s’emporta Raphaël. El en a ! Par EL ! El en est couvert !

— Je vous redemande car étrangement, nous n'arrivons pas à expliquer la disparition de ces thaumaturgies. Découvrir comment el s’en est débarrassé pourrait nous donner une piste.

— J'ai déjà contacté les services spéciaux à ce sujet, marmonna Raphaël. 

— El a peut-être eu de l’aide, dit alors Kokabiel depuis son poste, sur le côté

Le petit frère de Raphaël sentit une intuition monter en lui. El continua :

— Des thaumaturgies de traçage ont été posées sur Michaël dès sa naissance. El a grandi et vécu avec sans même le réaliser, depuis toujours vraiment. Ces traceurs nous ont été offerts par Constantiel, qui les tenait des Interracs eux-mêmes. Ces thaumaturgies étaient des bijoux de technologie, issus de l'Âge d'Or du Tikkun. Els étaient conçus pour être permanents et indétectables. Michaël n'a pas pu s'en débarrasser comme on jette une boule de cristal dans une poubelle. Et pourtant ils sont éteints, introuvables.

— Où veux-tu en venir ? demanda Raphaël. 

— Si Michaël ne porte plus ces traqueurs, c’est qu’el a été aidé par quelqu’un. Et ce quelqu'un ne peut être un éloha lambda.

— El a peut-être obtenu l'aide d'un chérubin, voire d'un Interracs, proposa le chérubin collaborateur de Raphaël.

Raphaël secoua la tête. El leva les yeux vers le dôme de cristal qui couronnait la salle de commandement de son vaisseau amiral. Cela faisait une dizaine de jours qu’el était à bord. Le navire allait et venait près de la frontière de Hod, où la dimension du royaume prenait fin pour se fondre dans l’espace inter-céleste au mauve profond. Rien qu’en le regardant, Kokabiel se sentit prit de vertiges.

— De nouvelles infos concernant sa dernière position ? demanda Raphaël, le menton toujours levé.

— Toujours dans le stade où vous l'avez… affronté, répondit le chérubin qui l’accompagnait.

— On a retourné l’endroit, dit une des puissances. On n'a rien trouvé.

Raphaël poussa un râle excédé.

— “On trouve rien”, “On trouve rien”, minauda-t-el d’une façon bien moqueuse, très gamine, même pour lui.

Kokabiel grimaça en voyant son grand frère perdre de sa prestance. El se déconnecta du Grand Plan des Cieux, se leva de son tabouret. C’est alors que, pris d’un nouveau vertige, el tomba à moitié sur sa table. Une image flotta devant el. Elle montrait six membres de la chorale, dont el-même, Raphaël et Constantiel, alignés aux côtés d’une petite vertu aux yeux froids et perçants. Ses longs cheveux noirs étaient tressés de rubans de satin beige. Sa mine boudeuse se fendait d’un sourire timide.

— Michaël, soupira Kokabiel. Où es-tu par EL…

Un éclair de terreur traversa le corps de la vertu. Et si Michaël avait eu un accident ? Et si, dans son envol insensé, el avait percuté un vaisseau ou perdu connaissance ? Un tel choc aurait-il pu balayer les thaumaturgies de traçage posées sur el ?

— Par EL, soupira Kokabiel de plus belle.

Après la crainte, ce fut la colère qui secoua la vertu-prince. El reposa ses yeux sur la photo qui avait surgi devant el alors qu’el quittait son poste. Évidemment, car cette photo était simplement le fond d’écran de sa petite boule de cristal, portail vers le réseau EL. Kokabiel plongea son regard dans celui du petit Michaël.

Est-ce Phosphoros qui te vrille le cœur ? Qui t’enflamme assez pour te faire sauter dans le vide les ailes nouées à chaque occasion qui se présente ? Oh Mika, seras-tu seulement le combustible de sa renaissance ?

L’estomac de Kokabiel se noua. Michaël avait causé tant de dégâts. El avait même provoqué la mort de Constantiel. Kokabiel le détestait, el le savait. Et pourtant…

Ce n'était pas toi, pas le vrai toi…

Soudain, la lumière du réseau EL alentour se teinta de rouge. L’air s’alourdit. Une sourde brûlure monta dans le corps de la vertu-prince, comme si son sang bouillonnait. Kokabiel leva les yeux sur Rayël. El s’agitait, sa boule de cristal à la main. El échangea un regard avec Raphaël, qui immédiatement, congédia ses collaborateurs et monta vers les hauteurs de la salle. Kokabiel le suivit. Ensemble els arrivèrent dans une salle plus petite, dotée d’une table et d’un cristal de commandement, eux aussi de taille réduite. Un éloha inconnu de Kokabiel entra alors. C'était une vertu d'apparence banale à première vue, bien qu'el portait un uniforme noir. La lumière orange de son halo était intense, mais contenue. El s'inclina devant Raphaël et Kokabiel tout en gardant un visage de marbre. Aucune expression, aucune émotion ne semblait émaner d'el. 

— Kokabiel, soupira Raphaël. Je te présente l'agent Kiriel du renseignement extérieur. 

Le jeune prince leva les sourcils, sans exprimer de surprise. Il était évident que les agences de renseignement de tout Kokab étaient en ce moment même à la recherche de Michaël. Mais qu'avait à annoncer cet agent ? 

— Nous avons trouvé une trace du Fitzarch au célestoport de Kokab, dit Kiriel. Un de nos ophana l'a capturé en vidéo il y a exactement dix jours et trois heures. 

 Kokabiel s'agrippa aux accoudoirs de son siège et ne put s'empêcher de dire

— Dix jours !? Dix jours et vous le dites que maintenant ?!

— Nous avons capturé l'image il y a dix jours, mais nous n'avons pu identifier Michaël dessus que ce matin. Cependant, là n'est pas… le sujet le plus important. 

Kokabiel se tourna vers son grand frère. Raphaël ne s'agitait pas. El retenait son souffle, inquiet. En voyant cela, Kokabiel cessa à son tour de respirer. Sur la table, au-dessus du cristal de commandement, Kiriel fit apparaitre une photo. El montrait une foule de vertus militantes en chemin pour le tarmac du célestoport de Kokab. Els semblaient tout à fait banals. Kokabiel ne reconnut pas Michaël. Kiriel invoqua une fine baguette entre ses mains. El la pointa sur l'une des vertus. 

— Voici Michaël. Ici. El est... "déguisé" d'une thaumaturgie qui altère l'apparence de son corps et de son halo. Les ophanim ont traité et remodelé la lumière. Cela a pris du temps mais els confirment que c'est bien el. 
Kokabiel resta silencieux, regardant encore son frère. 

— Ce n'est pas juste en retraitant toutes vos images que vous l'avez identifié, n'est-ce pas ? dit l'archange. Vous avez repéré quelqu'un d'autre avant et... cela vous a mené à Michaël. 
Kiriel acquiesça. 

— Ces images ont retenu notre attention car quelqu'un d'autre apparait ici, en effet. Quelqu'un de spécial, dont nous gardons précieusement toutes les signatures lumineuses qui lui sont associées. 

— Qui est-ce ? demanda Raphaël, sans impatience.

Il sembla à Kokabiel que son grand frère connaissait déjà la réponse à sa propre question. 

— Il s'agit de la domination Nathaniel Fitzor. 

Kokabiel sursauta sur son tabouret.

— Pardon ?! s'exclama-t-el. 

— Nathaniel Fitzor, dit Raphaël, sans aucune surprise dans sa voix. Un agent de Géhenna, le service secret du royaume de Guebourah. 

— Mais attend, souffla Kokabiel. "Fitzor", comme "fils de l'Oracle entre les Étoiles ?"

— Oui, soupira Kiriel. Nathaniel est un éloha de deuxième génération, comme l'est Michaël. El apparait là déguisé en vertu, mais el descend bien de l'Oracle. 

— Ok, fit Kokabiel, contenant ses émotions chaotiques autant qu'el pu. Pourquoi pas ! Mais ça... ça vient de monsieur V ça ? Vilanel de Géhenna. Celui qui nous a amené bébé Michaël ici. On le connait. Tout va bien ! Non ? 

Raphaël acquiesça, mais son expression était soudainement sombre et crispée, ses yeux hantés. 

— C'est Vilanel qui aurait dû apparaitre sur ce cliché, dit Kiriel. Pas Nathaniel. Nathaniel ne travaille pas du tout sur des missions d'exfiltration ou d'escorte d'habitude.

— Ah bon ? 

— C'est un assassin, souffla Raphaël. C'est l'assassin-royal de... d'élohim puissants. 

Kokabiel ouvrit grand les yeux. 

— Assassin ? Comment ça ? C'est un combattant illustre ? Un grand tueur de démon ? Je n'ai jamais entendu parler d'el, c'est étonnant. 

— C'est un assassin d'élohim, dit Kiriel. 

L'esprit de Kokabiel ne parvint pas à comprendre ces mots. Un assassin d'élohim ? Seuls les démons pouvaient tuer des élohim. Eloha contre éloha, ça n'existait pas, sauf pour le sport, ou lors des beuveries qui dérapent. Mais ce n'était jamais fatal. Pourquoi les élohim s'entre-tueraient t'els ? 

— Kiriel, dit alors Raphaël en souriant, étrangement calme. Le fait que tu puisses découvrir et nous partager ces informations, là maintenant, ne peut signifier qu'une chose. Ai-je tors ?

— Non, votre altesse. L'intuition que je vous devine est correcte. 

— Très bien. Tu peux te retirer et laisser entrer notre… visiteur. 

Kiriel s'inclina et quitta la pièce. Kokabiel, encore choqué, ne s'en rendit même pas compte. Raphaël claqua des doigts et tissa une petite thaumaturgie sur son jeune frère pour le ramener à la réalité. L'esprit de Kokabiel se renforça, prêt à résister à d'autres coups durs à venir. Réveillé, el comprit qui était sur le point s'arriver. 
Le jeune prince fixa du regard la porte au fond de la salle. Sous le palier, un liquide rouge apparut et se répandit en une flaque grandissante. Une odeur ferreuse monta dans l’air. Le sang d’Adam bouillonna et de sa surface, une silhouette surgit.

— Ah !

Dans une exclamation extatique, le corps sanglant se libéra. Une domination apparut. Son halo d’or blanc baigna l’endroit de sa lumière immaculé.

— Domination Vilanel, salua Raphaël, un peu trop solennellement.

Vilanel sourit, ses yeux noirs mi-clos. Kokabiel étudia la domination du regard comme s’el était un être surnaturel. El avait des cheveux noirs, coupés en un carré sophistiqué. Sa peau était blanche, ses lèvres d’un rouge sombre. El portait une combinaison noire sous un large manteau tout aussi sombre. Ses vêtements se mouvaient, comme si quelque chose coulait sous eux. La flaque de sang rouge au pied de la domination recula, comme absorbée par ses pieds. Même après sa disparition, l’odeur ferreuse persista. Kokabiel resta bouche bée. El en avait vu des choses à la cour de Hod, mais Vilanel restait sa rencontre la plus malaisante.

— Bonjour, fit la domination en souriant. Ses yeux noirs restèrent dénués de tout éclat.

— Vous euh… vous êtes là pour Michaël ? balbutia Kokabiel. Vous l'avez retrouvé ? El est avec vous ? Vous le ramenez ? 

Vilanel regarda Kokabiel de haut, comme surprit de sa présence ici. La domination battit des paupières et déclara :

— Michaël ne vous sera pas restitué.
Kokabiel, qui n’avait toujours pas refermé sa bouche, lança un regard horrifié à Raphaël. L’archange-prince vacilla. Mais el resta droit, garda un visage de marbre alors qu’el s’appuyait sur la table devant lui.

— Comment ça ? souffla-t-el. 
Kokabiel risqua son regard dans les iris vides de Vilanel. Ses sourcils étaient légèrement levés, ses lèvres pincées.

— Vous l’avez retrouvé, souffla Kokabiel, nous avons vu votre… assassin avec el. Pourquoi vous ne le ramenez pas à la maison ?

— Pourquoi ?! Oh quelle bonne question ! s'amusa Vilanel. Voyons voir ce qu'il s'est passé ces derniers mois. Vous avez arrêté et séquestré Michaël. Puis vous l’avez jeté en pâture à un séraphin étranger qui l’a torturé des mois durant. Son corps a été martyrisé par le feu purificateur, son esprit a été brisé par une thaumaturgie digne des moments les plus sombres de notre histoire.

— Att…

— Ensuite, une fois cette torture achevée, vous l’avez fait parader à peine remit de la cathédrale à la chapelle, à la merci du peupl’aile en colère et des nobl’ailes méprisants pendant plus d’une année. Vous avez traîné son statut de Fitzarch dans la boue.

Un silence tomba, lourd. Raphaël, les lèvres pincées, le regard piqué de douleur, ne put faire sortir ses mots de peur d’exploser. Vilanel, froid, finit par conclure.

— C’est pour ces raisons que Michaël Fitzarch ne vous sera pas restitué.

— Où est-el ? demanda finalement Raphaël. Pourquoi est-ce qu'un assassin est avec el ?!

— Je ne suis pas libre de partager de telles informations avec vous.

— Vous ne pouvez pas me le reprendre ! gronda Raphaël. Michaël m'a été confié à moi et moi uniquement ! Nous avions un accord !

— Accord que vous avez violé et qui est donc à présent nul.

— Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour protéger Michaël, s'emporta Raphaël, qui bondit sur ses pieds en chancelant. J'ai tout fait pour le préserver du feu qui le consume !

— Idiot ! siffla Vilanel. 

— Michaël était en train de devenir incontrôlable ! continua l'archange-prince. El est devenu un danger pour les autres et pour el-même ! Vous croyez que Sicad était son premier débordement ?!

— Je suis au courant des incidents qui ont eu lieu auparavant, dit Vilanel. 

— "Incidents" ? Vous fumez ?! Des élohim sont morts !

— Nous vous avions prévenus, asséna Vilanel. Et nous vous avons accompagné lors de chacun de ces moments difficiles, pour vous préserver vous et Michaël. 

Raphaël fit les cents pas. Kokabiel, el, resta paralysé par la peur. 

— Oh non "Vilanel". Vous croyez que je ne prête pas attention à vos vilains petits tours ? Que faisiez-vous à jouer le Premier Ministre sur Sicad toutes ces années ? Ce n'est pas un hasard si ce drame s'est déroulé là-bas, n'est-ce pas ?

Vilanel, imperturbable, ne dit rien. 

— Vous n'étiez pas là pour protéger Michaël. Vous étiez là pour essayer d'auto-réaliser une prophétie stupide ! Notre objectif à nous était simplement de préserver le vrai Michaël, de sauvegarder son esprit si vif et magnanime, sa véritable personnalité, loin de la folie suicidaire et dévastatrice dans lequel ce feu le plongeait.

— Ce feu… ce feu est la raison même de l’existence de Michaël, dit Vilanel d’une voix lourde de colère. Il n’avait pas à être réduit, écrasé, soufflé sous prétexte de discipline. Vous avez mis en péril notre grand projet. Vous avez mis en péril le retour du Porteur de Lumière lui-même.

Raphaël et Kokabiel restèrent là, immobiles, le souffle coupé.

— Michaël, le vrai Michaël… n’a pas d’importance, n’est-ce pas ? finit par siffler Raphaël.
Vilanel esquiva le sujet.

— Vos actes envers Phosphoros, un fragment du Porteur de Lumière el-même, sont injustifiables, inacceptables, impardonnables. Ils sont un acte de haute trahison envers Lui, le Grand Architecte, EL et sa Création elle-même. Si nous pouvions nous le permettre, nous vous destituerions de votre archangélat et vous jetterions dans un monde stérile et lointain, très lointain.

Kokabiel fronça des sourcils alors qu’une petite flamme rebelle renaissait dans ses cœurs. El se souvint de la première rencontre, d’Ophélia, son œuf précieusement niché dans ses bras, et de Vilanel, dont le regard vide et le sourire canin avaient tout de suite déclenché l’alarme “prédateur” dans l’esprit de Kokabiel. Comment avait-on pu confier un tel parrain à Michaël ?

— Si vous pouviez vous le permettre ? dit Kokabiel. Donc… vous ne pouvez pas vous permettre de nous punir ?

Vilanel toisa Kokabiel du regard.

— Vous, je vous aurais fait arracher la langue tous les jours en guise de sentence. Vos propos étaient bien peu respectueux envers Phosphoros.

Kokabiel secoua la tête et sa queue de cheval. El pointa ses ongles stilettos roses sur la domination et agita sa main de haut en bas pour marteler ses mots.

— Michaël ! Pas "Phosphoros". Vous voulez nous punir ?! Ramenez donc votre assassin de deuxième génération ici et finissons-en. 

— Oh je le ferai, répondit Vilanel. Mais pas tout de suite. 

— Pourquoi donc ?

Vilanel ne répondit pas. Kokabiel se leva de son siège. Fini la timidité, la crainte. El sentit la flamme en el. Était-ce comme celle de Michaël ? Celle qui le poussait à être si têtu, à prendre tant de risques ? Peut-être. Kokabiel, aliéné par la peur, se retrouva enfin.

— Vous avez intérêt à prendre soin d’el, dit-el. À le préserver. Dépêchez-vous de faire sortir votre primordieu et rendez-nous notre tête de mule !

Vilanel resta immobile, le regard figé. Son halo blanc scintilla. Son expression se perdit dans le vague. Ses yeux vides se remplirent enfin de quelque chose. El se tendit. Incroyable ! La peur semblait avoir changé de camp. La fermeté à Kokabiel, la peur à la vile domination. Raphaël observa son petit frère, inquiet de le voir se désintégrer en flaque de sang rouge suite à l’offense. Mais rien ne se passa. Vilanel, resta là, sans bouger. Quelques secondes plus tard, el se relâcha. Venait-el d’avoir une vision ? El battit des paupières, soupira, baissa les yeux. Sans explications, el se détourna des princes d’Ennead et quitta la petite pièce. Kokabiel lança un regard surprit à son grand frère.

— T’as vu ?! Je l’ai chassé avec mes stils ! dit-el, éberlué.

Raphaël garda les yeux baissés. El se connecta au réseau EL. Sur le pont de commandement, les élohim quittèrent leur poste, abandonnant la recherche sur le Plan des Cieux. Kokabiel leva son regard vers le dôme et scruta les cieux mauves. 

— Adieu, fichu Fitzarch. Fais attention à l'assassin...

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