Chapitre 14

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— Votre Altesse, levez les yeux, levez les yeux. 

Michaël obéit et observa le plafond de sa suite pendant que la principauté chantait. Sur ses sourcils et ses tempes apparurent alors des diamants étincelants. Une autre principauté chanta, pour faire rosir ses lèvres, une autre encore, pour couvrir son cou et son plastron de paillettes.

Habitué, Michaël se leva et écarta les bras. Les dizaines de principautés qui l’entouraient l’enveloppèrent dans une robe de soie orange et rouge, rehaussée d’un manteau argenté. Puis els tressèrent ses cheveux, pour les remonter dans un chignon royal, le parfumèrent de lilas et de fruits rouges. La dernière étape fut l’octroi des bénédictions. Trois prêtres séraphins balancèrent des encensoirs enflammés autour de Michaël en récitant des chants anciens dont plus personne ne connaissait le sens. Lorsque la préparation cessa enfin, le jeune prince congédia les élohim et attendit, seul. Enfin, presque.

— Tu ressembles presque à un archange, ria Nana, qui appliquait seul son propre maquillage. 

Michaël l'ignora. Sasha entra alors dans la suite, tout vêtu de vert.

— Vert ? commenta Nana. C'est la couleur de Netzach ça. Pas de Hod, ni de Guebourah. 

— Netzach est le royaume de la Victoire, rappela Sasha. On célèbre une victoire aujourd'hui, non ?

Pas tout à fait, pensa Michaël. Mais el sourit. El quitta sa suite pour monter au célestoport sur le toit. Alors qu'el sortait de sa tour, Michaël vit des centaines de milliers d'élohim voleter au-dessus des avenues du vaisseau monde. Leur clameur l'inonda encore, l'emplissant d'une énergie folle. Le jeune Fitzarch monta dans un vaisseau, qui s'éleva en direction de la Sphère des navigateurs.

Dans le réseau EL, les chants de gloire des élohim résonnèrent.

“Nous sommes les gardiens du Créateur

Son corps nous reconstruisons

Son âme nous recomposons

Sa Création nous gardons en son nom”

Des centaines de vaisseaux tout autour se lancèrent dans la même ascension. Aux chants traditionnels s'ajoutèrent des ovations. 

"Michaël ! Champion ! Michaël ! Champion ! Michaël ! Champion !"

Michaël sourit et envoya des ondes reconnaissantes dans le réseau. Après un voyage d'une heure et demie, sa navette arriva enfin non loin de la sphère. Dans le réseau, les navigateurs ordonnèrent aux élohim qu'els avaient convié de sortir de leurs vaisseaux. Tous s'exécutèrent et déployèrent leurs ailes pour tournoyer autour de la sphère. Cette dernière semblait être faite de bronze. Son diamètre faisait un peu plus d'un kilomètre. Alors que Michaël pensait qu'el lévitait, el découvrit que la structure était suspendue au-dessus du vide par des chaînes titanesques, ancrées au sommet du ciel artificiel du vaisseau-monde.

— Ce n'est pas comme ça d'habitude, commenta Sasha. Els ont mis ces chaînes au cas où…

Michaël contempla la sphère sans rien dire. Sa surface était taillée de motifs anciens, circulaires, qui représentaient un tourbillon d’élohim aux yeux et aux bouches grands ouverts. Els étaient tous liés les uns aux autres par des cordes passées à leurs cous. Leur envol était figé dans le temps et l’espace. Michaël s’approcha. Les ailes des bas-reliefs s’animèrent, battirent lentement. Les cordes se tendirent, tirèrent sur les élohim qui finirent emportés par la tempête. Une bourrasque à l’odeur métallique balaya Michaël et sa suite. Pendant ce temps, le tourbillon d’élohim s’ouvrait pour laisser un large passage vers le cœur du vaisseau. Il était noir. Impossible de distinguer ce qui se cachait derrière. Michaël fut tiré vers ce trou sombre sans même battre des ailes. El passa son horizon noir en fermant les yeux. Lorsqu’el les rouvrit el se trouva la corde au cou. 

— Ah ! Heeeeh

Michaël se racla la gorge, souffla pour s’assurer de bien respirer. À ses côtés, Nana brailla. El s’était retrouvé pendu el aussi, mais par les pieds. Michaël battit des paupières. Son regard se perdit dans un espace vide, infini. Mais sous el, une grande boule de lumière chaude pulsait. Michaël leva le menton, et évita à tout prix de baisser les yeux. 

— Aller, aller venez, murmura le jeune prince. 

Peu à peu, d’autres élohim apparurent dans le vide non loin. Des vertus de haute génération, command'ailes des chorales passagères du vaisseau, des puissances, chefs de la sécurité, des ophanim, veilleurs du dehors et du dedans, des chérubins, en charge des systèmes du Domitia. Il y avait aussi des séraphins, porteurs de leur flamme purificatrice et des principautés qui faisaient… des trucs de principautés. Menées par Sasha, ces dernières maintenaient le moral des troupes à un niveau ni trop bas, ni trop haut, ce qui soulageait la charge mentale des command'ailes. 

Les nobl'ailes, bien qu'inconfortablement pendus dans le néant, commencèrent à discuter en attendant la venue des chérubins-navigateurs. Lorsqu'els apparurent, surgis de nulle part dans l'obscurité, tout le monde se tut. 

Les chérubins-navigateurs étaient une création chérie du Psychopompe. À l'époque du Bas Tikkun, à l'aube de la société élohienne, els avaient été créés pour guider les élohim à travers les turbulences de l'espace inter-céleste. Esquivant les hordes démoniaques qui circulaient dans l'infini, els encaissaient aussi les tempêtes qui balayaient l'espace-temps. Ainsi, le Domitia lui-même abritait ses passagers, mais c'étaient les navigateurs qui devaient trouver les chemins les plus sûrs pour éviter de gros dégâts. La science de la navigation était complexe, ésotérique. Dans leur sphère, les navigateurs s'adonnaient à d'étranges rituels. Pour dompter les vents psychiques, els se mettaient els-mêmes à l'épreuve, corps et esprit. Mais le secret les entourait. 

— Passagers, salua Stormiel, le command'aile des navigateurs. 

Tous les élohim présents, même Zinebiel, Grand Capit'aile et Michaël le Fitzarch, inclinèrent leurs halos devant Stormiel, autant qu'els le purent, ainsi pendus. Sasha avait eu raison, les navigateurs étaient baraqués, plus que des puissances-soldats. Els étaient énormes, très larges et un peu trapus. Leurs centaines d'yeux ne clignaient jamais. Els portaient des manteaux sombres et paraissaient être davantage des guerriers que des scientifiques.

— Saluez les âmes, ordonna Stormiel. Elles sont les fragments de notre père EL. Honorez-les.

Les élohim baissèrent leurs regards sur la sphère orange qui pulsait dans le néant, en dessous. Michaël vit à l’intérieur une nuée d’âmes. Le jeune Fitzarch avait tant de fois admiré le puits des âmes du Sanctuaire de Kokab. Et pourtant, ce qu'el voyait maintenant le bouleversa. Les âmes luttaient, sifflant une litanie douloureuse. Pauvres petits êtres. Pourquoi leur infliger cela ? 

— Ces âmes sont notre boussole, expliqua un des navigateurs. Leur instinct est de progresser vers Guebourah pour poursuivre leur voyage vers EL. Ainsi, elles nous montrent la voie, quoi qu’il arrive… Même ici, dans l’espace inter-céleste. Elles nous mèneront au portail le plus proche. 
Michaël soupira, peiné. Était-il moral d’instrumentaliser ainsi les âmes ? 

— Sommes-nous au complet ? demanda la domination Zinebiel, el aussi déstabilisé. Ah non il en manque encore…

Le capit'aile attendit qu’une petite centaine d’autres élohim arrive. Els n’étaient pas au complet. Le commandant des puissances ordonna qu’on aille les chercher. Mais Zinebiel, à court de patience, décida de ne pas attendre les quelques retardataires.

— Je déclare le comité de commandement exceptionnel ouvert. 

Puis el posa son regard sur Sasha. Drapée dans sa sublime robe verte, el déclara :

— Nobles élohim. Nous sommes réunis dans le cœur du Domitia : la Sphère des Navigateurs, que notre armée de miliciens et de civils a bravement libéré de l’emprise démoniaque il y a un mois déjà. Par l’atrocité du Malin, nous fûmes suspendus dans le temps. Par la grâce d’EL, nous fûmes libérés. Mais les ténèbres ont emportés nos capit’ailes, il semble… 

Les élohim s’échangèrent des regards inquiets, peinés. 

— Heureusement, il nous reste notre sauveur, Michaël Fitzarch. Avec el, nous sommes suspendus à huit-clos, pour réfléchir calmement, sans tomber…
Michaël jeta un regard au marasme des âmes sous el, et frémit. 

— Discutons de la survie du Domitia ! clama la domination pour ouvrir la discussion.

C'est le command'aile des séraphins qui prit la parole.

— EL nous éprouve. La trace des ténèbres persiste à bord du Domitia. 

— Nous le savons, séraphin, dit Zinebiel. Où en est la purification menée par les tiens ?

— Mes séraphins travaillent sans discontinuer, mais seul un tiers du vaisseau a été déclaré pur. 

— Un tiers ?! s'exclamèrent plusieurs élohim. 

C'est Nana qui prit alors la parole :

— Nous atteindrons Guebourah dans dix jours. Si nous ne sommes pas purs d'ici là, els nous détruirons sans hésiter. 

— Els ne peuvent pas faire ça, protesta une vertu command'aile. Nous sommes les renforts qu'els ont tant appelés. 

— Madim, leur capitale, est déjà au bord d'un gouffre de ténèbres, expliqua Nana. C'est une forteresse assiégée. Les miliciens là-bas ne tolèreront pas la moindre corruption entre leurs murs. 

— Nous prendrons donc le temps de tout purifier avant d'entrer dans leur royaume. 

— Nous sommes à court de temps, prévint Stormiel. 

Un silence grave tomba. 

— Le Domitia est un court-courrier. De plus, il est gravement endommagé. Nous devons atterrir à Madim d'ici à deux semaines maximum. Au-delà, nous risquons une implosion catastrophique. 

— Nous allons donc redoubler nos efforts, clama Zinebiel, dans une salle toujours silencieuse. 

Le cœur solitaire de Michaël se remplit d'horreur. El savait depuis quelques jours déjà que le pronostic du Domitia n'était pas bon. El espérait entendre parler de progrès encourageants aujourd'hui. 

— Le peupl'aile ignore tout de notre destin précaire, annonça alors Sasha. Mes ouailles font en sorte de les distraire, pour qu'els ne posent pas de questions. Devrions-nous changer de méthode ?

— Changer de méthode ? demanda Zinebiel sèchement. 

— Annoncer que notre situation est… risquée.

— À quoi cela servirait-il d'effrayer les millions d'élohim à bord ?! s'agaça Zinebiel. 

— Nous pourrions les engager dans l'effort de purification ?

— Seuls les séraphins peuvent purifier les ténèbres, par le feu sacré, dit soudain Michaël. 

Les regards se tournèrent vers el.

— Je pourrai peut-être parler aux services de Guebourah juste avant notre arrivée, proposa Michaël. En tant que Fitzarch, els auraient des problèmes si els… m'atomisaient avec le Domitia. 

— Nous pourrions négocier avec eux, ajouta Sasha en affichant un sourire rayonnant. Els ne sont pas stupides. Els pourront comprendre notre situation et prendre des mesures raisonnables pour accueillir les passagers dans leur royaume. 

La principauté s'efforçait d'insuffler de l'espoir parmi ses pairs. 

— Les guébouréens ne sont pas réputés pour leur magnanimité, râla Zinebiel. Els ne sont pas enclins aux discussions. 

— Els le seront, insista Michaël, qui se tourna alors vers Nana. 

— Géhenna pourra nous aider, non ?

Nana pinça ses lèvres.

— Probablement, dit el en levant les épaules.

Michaël laissa échapper un soupir agacé. Soudain, la sphère vibra. Sasha poussa un cri d'horreur :

— Il se passe quelque chose dehors ! 

Les chérubins-navigateurs se mirent à gronder. La corde autour du cou de Michaël se serra. Avant même qu'el ne puisse comprendre ce qui se passait, el se sentit projeté en arrière. La lumière du ciel artificiel l'aveugla alors que déjà, les élohim du Domitia saisissaient son corps. 

Les cris s’élevaient en une clameur chaotique autour de la Sphère des Navigateurs. Des milliers d’élohim du peupl’aile s’étaient rassemblés, leurs halos brillants d’indignation, leurs voix emplissant le vaste espace du vaisseau-monde. Michaël, suspendu au-dessus de la foule par un reste de leur élévation rituelle, jetait un regard perplexe à Sasha, dont les traits étaient tirés par l’inquiétude.

— Les navigateurs sont opérationnels… Els nous mènent à Guebourah… Pourquoi sont-els en colère ? demanda Michaël, mais sa voix se perdit dans le tumulte.

La tension monta d’un cran lorsque les manifestants, emportés par une vague de colère collective, franchirent les dernières barrières qui les séparaient de la Sphère. Les gardiens des navigateurs furent balayés, et Michaël, Sasha et Zinebiel furent tirés de leur perchoir. La poigne froide et pressante des élohim du peupl’aile les guida hors de leur abri.

— Vous leur devez des explications, dit un chérubin à la voix vibrante d’accusation. Comment pouvez-vous célébrer alors que nous mourons encore ?

— Les démons ont attaqué ! calmèrent les élohim.

Zinebiel, tentant de maintenir un semblant de calme, leva son halo pour capter l’attention de la foule.

— Mes chers élohim… Je comprends votre colère. Oui, le danger perdure. Mais sachez que vos capit’ailes travaillent sans relâche à éradiquer la présence démoniaque à bord.

— C’est un mensonge ! rugit une voix anonyme.

— La Maison des Plaisirs… Elle a été détruite ! cria une principauté, son halo clignotant de panique.

Ces mots frappèrent Sasha comme une lame. El porta une main tremblante à ses lèvres, reculant.

— Non… Ce n’est pas possible, murmura-t-el.

Michaël posa une main sur l’épaule de Sasha, mais ce dernier se dégagea brusquement.

— Je dois voir… je dois voir… dit Sasha, la voix brisée.

— Je vais avec toi, dit Zinebiel d’un ton ferme.

Michaël, incapable de contenir sa propre inquiétude, se joignit à eux. Nana, silencieux, les suivit dans l’ombre.

La Maison des Plaisirs, autrefois un lieu de réconfort et d’évasion, était méconnaissable. Les murs scintillants étaient noircis, à demi fondus par l’énergie corrosive des démons. Des gravats jonchaient le sol, mêlés à des halos éteints, tristes vestiges de vies brisées.Michaël resta figé devant le carnage. Le poids de la culpabilité, qu’el avait repoussé, s’abattit sur lui avec une force insoutenable.

Si j'avais contribué à leur protection au lieu de ne rien faire...

La colère monta en el comme une vague d’ichor bouillonnant. El serra les poings, son halo pulsant de lumière rougeoyante. Mais un écho d’une autre émotion le rappela à la réalité : Sasha. Où était Sasha ?

— Sasha ! appela-t-il en regardant autour de lui.

Le chaos de la foule qui avait envahi les lieux l’empêcha de trouver son compagnon. El fouilla parmi les ruines et le chaos de la foule, criant son nom, mais en vain. Les élohim survivants pleuraient, cherchant leurs proches, ou s’agenouillaient en prière silencieuse. Les élohim finirent par remarquer la présence du Fitzarch. Els fondirent sur el par centaines, le bousculant. 

— On va mourir ! Qu'EL nous sauve !

— Vous avez caché la vérité ! Sales nobl'ailes menteurs !

Michaël se débattit, cria. Le peupl’aile s’était rendu compte du destin précaire et mortel du Domitia. El ne sut pas comment, mais Michaël trouva la force de se calmer. El sut que les vertus de Hod présentes là ne lui feraient pas de mal. El était leur champion après tout. Alors Michaël fit ce qu'el savait le mieux faire. El tendit un filet et le jeta sur les élohim. Mais au lieu de diffuser des thaumaturgies assommantes, el envoya des ondes de courage, accompagnées de ses mots :

— Je me battrai pour vous ! Élohim ! Je me battrai pour vous !

Michaël répéta, à voix haute et dans le réseau EL, sur les mailles de son filet, cette simple phrase pendant un long moment. El tenta d'apaiser discrètement les autres nobl'ailes tout autour, rendus hystériques par l'assaut du peupl'aile bafoué. 

— Vous allez fuir sans nous ! Comme les sous-capit'ailes !

— Il n'y a pas assez de vaisseaux d'évac pour nous tous !

— Les nobl'ailes seront prioritaires !

— Non ! Je me battrai ! répéta encore Michaël. Je suis un Fitzarch par EL ! Le champion du Domitia !

Les élohim ouvrirent peu à peu leurs esprits aux paroles du Fitzarch. Els transportèrent Michaël dans les airs et le posèrent finalement sur la scène dévastée de la Maison des Plaisirs. Michaël jaugea un instant la situation de ses pairs nobl'ailes, qui après la panique, jouaient à leur tour, plus ou moins bien, l'apaisement. Les élohim se désintéressèrent d'eux, intrigués par Michaël. 

— Je suis un Fitzarch ! Vous pensez que Guebourah va me détruire !? s'égosilla le jeune prince, les yeux perçants d'indignation.

— Tu vas fuir ! clama le peupl'aile.

— Non ! Je ne fuirai pas ! JAMAIS ! Et vous savez quoi ?! C'est moi qui aie fait disparaître les sous capit'ailes ! 

Les élohim échangèrent des regards surpris.

— Els voulaient fuir, els ! Et j'aurais pu fuir avec els ! Mais NON ! HORS DE QUESTION ! Alors je les ai foutus dehors ! Adieu !

Les élohim ne surent pas comment réagir à cet aveu. Michaël chercha Zinebiel du regard, sans le trouver. Soudain, une vibration dans son halo. Un message, via le réseau EL. Zinebiel.

— Michaël, rendez-vous dans la baie d’amarrage des capsules d’évacuation. Nous devons parler.

Michaël sentit une bouffée de panique. Le moment de faire face Zinebiel était venu. Inspirant profondément, Michaël s’éleva et se dirigea vers la baie d’amarrage. Chaque battement de ses ailes semblait peser plus lourd que le précédent. Lorsqu’el atteignit l’entrée de la baie, les souvenirs affluèrent. Les cris, le fracas, et la décision fatidique qu’el avait prise. Une sueur froide glissa le long de sa nuque alors qu’el entrait dans la vaste salle plongée dans une pénombre vibrante. La silhouette de Zinebiel se tenait près des capsules, son halo brillant d’une lumière froide et mesurée.

— Michaël, commença Zinebiel sans se retourner. Approchez.

Chaque pas rapprochait Michaël de son jugement. Mais el se redressa, prêt à affronter la conséquence de ses actes.

En arrivant à la baie d’amarrage des capsules d’évacuation, Michaël se sentit sûr du sujet que Zinebiel allait aborder : les sous capit'ailes assassinés. La conscience de Michaël s'en était soulagée ces derniers jours, depuis le gala. La culpabilité, si forte qu'el l'avait terrassée, l'avait finalement simplement quitté. Comment ? Pourquoi ? Michaël ne s'en souvenait pas.

Mais Zinebiel el, venait sûrement de comprendre comment ses sous-capit'ailes avaient vraiment fini. Expulsés au-dehors, livrés à une mort atroce.  La domination avait peut être lu entre les étoiles en ce lieu et découvert la vérité logique. Que faire ? Nier ? Ou avouer, et  peut-être subir le même sort que ses victimes.

Le Fitzarch s'avança et descendit d'el-même dans le sous-sol du nid, dans le petit garage secret où les sous-capit'ailes avaient préparé leur départ confidentiel. Le temps pressait. Le peupl'aile, méfiant, s'agitait au-dehors. Michaël entra.

El vit alors Zinebiel, allongé sur le sol, baignant dans une mare de sang doré. Ses yeux inanimés étaient encore grands ouverts. 

Michaël se précipita sur la domination, tissant un filet pour stopper le saignement. Mais il était déjà trop tard. Le halo de Zinebiel était éteint. Désespéré, Michaël tourna la tête et trouva alors Nana, assis dans le poste de contrôle. La vertu jouait nonchalamment avec un poignard. En voyant Michaël, el sourit.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?! s’écria Michaël, juste avant de voir que la tunique de Nana était maculée de sang doré. El tenait un poignard à la main. Michaël reconnu celui dont el-même s’était servi il y a un mois, pour tailler ses veines, les vider du sang d’Adam, et révéler sa véritable identité. 

— Qu’as-tu fait ?! demanda Michaël, les yeux écarquillés. 

Nana ricana. 

— Comment vous sentez-vous votre altesse ? minauda-t-el.

— Quoi ?!

— Michaël champion ! Michaël champion ! acclama Nana, ironique. Tu vas retourner tout Guebourah mmh ? Prendre le commandement des chorales hodiennes et hop te lancer ? 

— Je ferai ce qu'il faut pour sauver les élohim ! clama Michaël, son regard brillant d'une furie glaciale. Mais toi, toi ! Tu as tué Zineb ?! Pourquoi ?!

— El ne voulait pas nous laisser partir… 

— Quoi ? souffla encore Michaël. 

Nana soupira, très calme, trop calme.

— Sans toi à bord, son vaisseau a toutes les chances de se faire désintégrer à son arrivée à Guebourah… El veillait donc à ce que nous ne partions pas. 

— Et alors ?! s’indigna Michaël. Je ne compte pas partir de toute façon ! Avec moi à bord, le Domitia et ses passagers seront saufs !

— Non. Nous ne comptons pas faire entrer le Domitia à Guebourah. Le vaisseau est encore infesté de démons du temps. Nous ne pouvons pas risquer leur venue dans notre royaume. 

— Alors t’as tué ce pauvre Zinebiel ??! T’es un assassin !

— Oui. C’est mon métier, pour tout te dire. Mais tu es un assassin aussi. Ni formé, ni diplômé, mais un assassin quand même, petit Phosphoros. Donc ne me parle pas comme si tu étais tout blanc. 
Michaël secoua la tête, la bouche entrouverte. Dans cette situation hallucinante, el se demanda pourquoi Nana s'obstinait à l'appeler “Phosphoros”. Puis le Fitzarch réalisa l'étrangeté de sa propre pensée dans une situation si urgente, et s'enfonça dans une confusion horrifiée. 

— On devait pas passer par le Domitia initialement, expliqua Nana. Cela faisait longtemps que Zinebiel ne voulait plus collaborer avec nous donc… Mais il y a eu un contretemps et nous avons dû embarquer sur ce vaisseau plutôt qu’un autre. Au début j'étais serein, continua Nana sans exprimer la moindre frustration. Mais rapidement, les problèmes nous sont tombés dessus avec ABONDANCE ! 

Nana ria quelques instants avant de poursuivre. 

— Des démons du temps, j'en avais pas vu depuis la Seconde Brisure, petit prince ! Tu te rends compte !? Notre vaisseau foutu ! Paf ! En quelques heures, notre destin scellé. Fallait partir ! Fissa ! Mais tu voulais pas, Phosphoros que tu es. Alors j'ai passé un petit accord avec les sous-capitaines pour qu'on puisse se barrer en douce. 

Une douche froide s'abattit sur les épaules de Michaël. 

— Mais toi, fichu petit Phosphoros, t'as balancé les sous-capit’ailes par-dessus bord ! Et les vaisseaux d’évac avec !

— Est-ce si difficile que ça de fuir le Domitia ? cracha amèrement Michaël. 

— J’avais un plan, couvert par les sous-capit’ailes. Zinebiel ne comptait laisser personne partir… Mais bon, j’ai réglé ce problème…

— Peu importe, coupa Michaël. Je ne fuirai pas de toute façon. Tu peux partir, retrouver Vilanel si tu y tiens. Moi, je reste. 

— On ne peut pas rester ! rappela Nana. Le vaisseau est infesté ! Guebourah ne peut l’accueillir ! Sous aucun prétexte ! Nous devons fuir !

— Nous purifierons ce vaisseau ! Guebourah nous aidera !

— T’es perché toi ! s’offusqua Nana. Tu crois mieux connaître les choses que moi ?! Tu ferais venir des démons du temps à Madim, hein ?! Pourquoi ? Parce que tu te sens coupable d’avoir attiré ces démons ici ?!
Michaël ne répondit pas, touché au cœur. 

— On a déjà suffisamment à faire avec le front de l’Abysse ! s’indigna Nana. Tu ne sais donc rien de ce qui t'attend à Guebourah ?

— Je sais très bien comment ça va se passer. Els vont me laisser me battre auprès des troupes certes, pour motiver Hod à en envoyer davantage, mais ensuite… Quel nobl'aile de Guebourah va exploiter ma graine Nana, mmh ? Monsieur S c'est ça ? C'est une grosse brutasse celui-là, mais el sait très bien à quoi servent les Fitzarch non ? 

— Ah ! Tu veux rencontrer Monsieur S ? Et beh vas-y !

Nana s’apprêta à presser un gros bouton rouge, le même que Michaël avait utilisé pour éjecter les sous capit'ailes. Préparé, le Fitzarch plongea sur Nana et attrapa son bras, le tirant hors du poste de contrôle. Nana brandit alors ses serres et les enfonça dans le cou du prince. Michaël résista, essaya de lacérer le visage de Nana. Mais la force de la vertu était surnaturelle. Ses iris et son halo devinrent rouges. El souleva le jeune prince, le suffoqua. Le sas s’ouvrit et soudain, le silence. Michaël vit le visage de Nana s’éloigner, puis la silhouette brune du Domitia s’étendre avant de s’effacer dans des cieux mauves infinis. Michaël essaya de déployer ses ailes, mais ces dernières restèrent plaquées à son dos. El voulu crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. 

Michael dériva, les yeux grands ouverts perdus dans le vide. Le temps se dilata. Des secondes passèrent, ou des heures ? Le Domitia disparu bien vite, laissant Michael dans un ciel mauve infini. Mais l’espace-temps s’agita tout autour. Des déchirures lacérèrent le tissu de la Création, et les démons du temps en surgirent. Michael hoqueta alors que les monstres fondaient sur el.

— Argg…

Poussé par l’énergie du désespoir, Michael brandit ses bras devant el et tissa un filet de lumière, répondant avec une détermination féroce. Ses ailes s'étendirent enfin, projetant une lumière divine dans l’infinité céleste. Ses serres d’argent se tendirent alors qu’el frappait les abominations. Le combat fut brutal. Chaque coup porté contre les démons arrachait des fragments du tissu temporel, perturbant le cosmos autour de lui. Pourtant, chaque blessure que Michael infligeait était rendue avec une violence décuplée. Les démons s’acharnaient, étirant leurs corps fragmentés comme des marionnettes du destin pour tenter de capturer Michaël. Un rugissement sourd monta de ses entrailles. Son aura vacillante se transforma en une flamme flamboyante, annonçant sa métamorphose. Sa forme élohienne se déforma sous la pression. Des griffes longues comme des lames émergèrent de ses mains, ses crocs scintillèrent d’une lueur menaçante, et ses ailes, autrefois délicates, devinrent des appendices tranchants comme le fil d’une épée. Michaël, dans sa forme apocalyptique, devint une vision terrifiante d’une fureur divine incarnée. Les démons reculèrent, effrayés, mais pas pour longtemps. Leurs attaques redoublèrent de férocité. Des griffures ouvrirent des plaies profondes sur le corps de Michaël, et son ichor doré se dispersa dans le vide. Malgré la douleur, el se battait avec une fureur renouvelée, chaque coup porté à ses ennemis s’accompagnant d’une explosion de lumière sacrée. 

Alors que le dernier des démons du temps reculait, son corps fragmenté s’effaçant dans un cri silencieux, Michaël flottait, son souffle haletant. Son corps mutilé brillait encore faiblement, mais ses forces lâchaient. Dans le lointain, un orage se formait. Ses nuages étaient zébrés d’éclairs couleur d’ambre, et une silhouette familière s’y détachait. Michaël plissa les yeux, son esprit brouillé.

— Burrhus… murmura-t-el, le choc peignant son visage.

La silhouette imposante était bien celle de Burrhus. Contre toute attente, el était vivant, et sa présence dans cet orage cosmique était un mystère profond et troublant. Michaël, blessé mais pas brisé, se tendit vers cette apparition, une lueur d’espoir et de défi dans ses yeux fatigués. Mais Burrhus se déroba.

☿— Lâche, traître…

— Sandalphon ? fit alors une voix azohienne, émergeant de nulle-part. 

— Non, ce n’est pas Sandalphon, gronda Burrhus. C’est Phosphoros, le maudit ! Tu confonds la lumière du Père et du Fils ! 

Mais l’azoha ne sembla rien entendre. 

— Mère Kokab. J’ai libéré les oracles-guerriers. J’ai déchaîné leur furie sur le projet funeste de Père. Je l’ai presque eu mais…

— Ton père t’a éjecté, comprit l’azoha. Ne lutte plus. Il est trop tard pour moi. Trop tard pour mes azohim. Mais trop tard pour ton Père aussi. ⚳ Azraël ⚳ est sur son chemin. El ne reposera pas avant de l’avoir tué. 

— Que va-t-il se passer ? demanda Sandalphon. 

— Les partzufim naîtront, et les primordieux mourront. Els auront atteint leur objectif, mais ce sera au prix de leurs propres vies. La voie est libre. L’ère qui va suivre sera la tienne. Retrouve mon noyau et reprends les Royaumes des Cieux. 

— Hein ? fit Michael, perdu entre songes et réalité. 

— Tisse et suspends-toi. Attend dans cet espace la fin de cette Brisure. Fais de cette route celle du Pendu. Suspendu entre Père et Mère. Entre Passé et Futur. Entre Devoir et Destinée. 

Que signifiaient ces paroles ? D’où venaient-elles ? Étaient-elles des hallucinations liées à son agonie ? Michael ne les comprit qu’à moitié, mais se laissa guider. El relança son filet, le brandissant vers l’infini. Et à travers l’espace et le temps, les tempêtes et les orages, le filet finit par s’accrocher à un vaisseau. 

— Nous nous reverrons Phosphoros, jura Burrhus alors que sa silhouette se dissipait. Nous nous reverrons, sur la Route du Diable. 

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